Texte de Christiane Laforge
Lu à la présentation de Léon Bouchard
au Gala de l’Ordre du Bleuet, le 3 juin 2017
Dans son domaine de Sainte-Hedwidge, où il est né le 2 mars 1920, Léon Bouchard a extirpé des arbres et des pierres une faune forestière et marine, des personnages colorés illustrant sa foi chrétienne et la vie laborieuse de son époque. Cet espace muséal naturel qu’il a nommé Le p’tit bonheur est devenu grand. Le rêve impossible du jeune garçon qui voulait suivre des cours d’art est devenu un magistral témoignage de ce qui est possible quand la passion surmonte tous les obstacles.
Ce sculpteur est en lui-même l’œuvre d’une existence taillée dans le courage, la détermination, la persévérance. Issu d’une région de bâtisseurs, le fils de Joseph Bouchard et Joséphine Paradis, grandit dans une famille de 16 enfants. Ses parents, cultivateurs et « contracteurs » en chantiers forestiers transmettent à leurs descendants leurs convictions religieuses, leur amour du travail et le sens de l’entraide. « Il fallait s’arracher la vie », dira Léon. Pas question de grandes études. Lui qui rêvait d’école de menuiserie se retrouvera, à 14 ans, « showboy » dans un chantier du Lac-Saint-Jean et deviendra successivement bûcheron, draveur, chauffeur de camion. Recruté par l’armée en 1941, volontaire malgré lui, il fait deux mois d’entraînement au Camp Tremblay de Chicoutimi, complétés par la suite à Val-Cartier. « Après, ç’a été le massacre en Normandie. J’étais dans c’groupe-là, mais blessé et malade j’ai été dischargé par l’armée au mois de mars », relatera Léon évoquant ce passé. Propos que cite son fils Martin, dans la biographie posthume, Léon Bouchard, sculpteur du Lac-Saint-Jean publiée en 2015 aux Éditions Marcel Broquet.
Le 19 avril 1945, Léon Bouchard épouse Rita Privé, sa fiancée de longue date, mère de dix enfants qui naîtront entre 1946 et 1958. Le travail dans les chantiers l’hiver, la drave au printemps, la construction de camps et de chemins l’été, la cueillette des bleuets, ponctuent leur existence. S’ajouteront l’élevage de poules et de dindes, le métier d’affûteur, de coiffeur, de menuisier, d’entrepreneur en construction. Léon participera à la construction de la polyvalente de Roberval en 1970.
La vie exceptionnelle de Léon et de Rita n’est pas différente de celle des gens de son époque, écrit Martin dans la biographie de son père. « La vie est très difficile et le confort rudimentaire : une maison mal isolée qu’il faut chauffer au poêle à bois et qui devient froide la nuit; l’eau, quand elle est courante peut geler l’hiver avec tous les désagréments que cela occasionne pour une grosse famille; les vêtements qu’il faut confectionner soi-même, car peu de gens sont assez riches pour en acheter; la nourriture est probablement suffisante, car on a du lait, de la viande et des légumes à l’automne, mais peu de vitamines, les fruits complètement absents de l’alimentation, sinon les petits fruits d’été; le transport à cheval et les routes sont fermées l’hiver. […] »
Toutes ces années, Léon n’a jamais déposé son couteau, taillant le bois pour des jouets, des meubles, des sculptures et des bas-reliefs. L’artiste autodidacte s’entraîne sans se douter que cet apprentissage discret va lui permettre de réaliser un projet magistral, Le p’tit bonheur, parc-musée réunissant plus de 161 œuvres en bois et 103 en granit sur son domaine de Sainte-Hedwidge de Roberval. Lequel sera inscrit sur le circuit touristique d’Intégration touristique Lac-Saint-Jean en 1999.
Son fils Martin relate : « Il se fait interprète. La pierre a un message et lui seul, l'artiste, le travailleur de cette forêt et de cette terre, peut le découvrir et nous le transmettre. Il ne cherche pas la perfection dans son travail, car seul le message peut être parfait. La pierre et l'arbre lui disent comment les transformer pour leur rendre justice, comme cette Femelle d'orignal, ce Sacré-Cœur, cette Anne, ce Joseph. Il ne saurait trahir la nature qui l'a nourri et accompagné toute sa vie. Il ne fait que révéler la vérité de ses parents, de son époque et de sa vie. Il est en mission. »
Avouant préférer la pierre au bois pour sa durée temporelle beaucoup plus longue, Léon Bouchard a fait de l’un et de l’autre le moyen d’expression par excellence pour raconter sa vie, sa foi, ses souvenirs. Dans son œuvre, il évoquera la vie sauvée d’un draveur en 1930, mais non ses 4 ans comme conseiller municipal en 1981, ni sa lutte pour la reconnaissance des Anciens Combattants, pour lesquels il a fondé en 1976, avec Urbain Villeneuve, l’Association des Anciens Combattants du Saguenay–Lac-Saint-Jean. On retrouvera cependant des artefacts témoignant de ses bonheurs et de ses drames : comme 50 ans de mariage avec Rita ou le feu ravageant la maison et toute la ferme paternelle en 1948.
Des œuvres naïves certes, mais s’inscrivant tout à fait dans l’art populaire par le choix des matériaux, l’inspiration et l’interprétation. Une création qui a suscité l’intérêt de plusieurs musées, tels La Pulperie de Chicoutimi et le Musée canadien des civilisations de Gatineau, ainsi que de plusieurs cinéastes dont les Productions de La Chasse-Galerie. En 2006, Léon Bouchard recevait le Prix d’intervention patrimoniale « Le Domainois » de la MRC du Domaine-du-Roy.
En octobre 2004, Léon Bouchard et Rita se sont installés au Manoir Notre-Dame de Roberval où il est décédé en janvier 2012.
Pour avoir su écouter parler le bois et les pierres, il a légué à sa région le témoignage d’une époque difficile, conscient de l’importance de ne pas oublier ce qui a tissé notre histoire. Aujourd’hui, à cet artiste et à sa famille, nous voulons témoigner de l’importance de ce souvenir, de son œuvre certes, mais surtout de l’homme qu’il a été.
Le 3 Juin 2017
LÉON BOUCHARD
Sculpteur qui nous a légué le grand musée de site Le p’tit bonheur
Pour sa contribution exceptionnelle à l’art populaire
FUT REÇU MEMBRE DE
L’ORDRE DU BLEUET
À titre posthume